Phares habités. La fin d'une époque

Le Télégramme 04/10/2010


Le 29 octobre, le phare de l'île Vierge, en face de Plouguerneau (29) dira définitivement adieu à ses derniers gardiens. La fin d'une époque : celle des phares habités et de ces hommes qui, la nuit, se tiennent éveillés pour que leur lumière pointe jusqu'au petit jour.


Jean-Philippe Rocher et Guy Cajean, deux des quatre derniers gardiens du phare de l'île Vierge, sont des Robinson un peu particuliers. «On n'est qu'à un mille de la côte. Et de la visite, on en a surtout en été. Avec les visites organisées par l'écomusée de Plouguerneau». En ce début d'automne, les sept hectares de roche ont retrouvé leur tranquillité. Jean-Philippe et Guy sont fiers de faire découvrir leur royaume. Et leurs deux palais. Le vieux phare de1843, haut de 33m, où ils résident. Et le grand, le majestueux qui, depuis 1902, balaie tout le Nord-Finistère à 50km à la ronde. «C'est le plus haut d'Europe. Et le plus haut du monde en pierres de taille, précisent Jean-Philippe et Guy qui, avec leur faconde et leur sens de l'humour, pourraient facilement se reconvertir en guides. 397 marches: l'escalier donne le tournis. «Parfois, on oublie le tournevis en bas. C'est rageant», commente Guy. Sur les murs, de l'opaline bleu azur partout. «12.500 carreaux ont été posés. Ça représente une surface de 900m²». Quelques minutes plus tard, le sommet est atteint. De là, vue imprenable sur la côte des naufrageurs, de l'île d'Ouessant à celle de Batz. «On ne s'en lasse pas, lance Guy qui, depuis trois ans, veille au bon fonctionnement de la lanterne après avoir été aux petits soins pour celles des Pierres Noires, de Penfret, aux Glénan, et du phare d'Eckmühl. On se relaie. On fait des quarts. Chacun son bout de nuit». À ses côtés, Jean-Philippe opine du chef. Lui, c'est bien simple, quand il quitte l'île Vierge, c'est pour en retrouver une autre. «À présent, j'habite Molène. Et bientôt, je pars en vacances en Irlande. C'est comme ça. Je ne peux rien y faire».


La cuisine chacun son tour


Quand les conditions météo sont extrêmes, la vie de gardien de phare n'est pas de tout repos. «Des tempêtes, on en a vécu! Et des violentes», poursuit Guy en montrant les ruines d'un mur de protection dont la maçonnerie a été traînée par des flots furieux sur plus de 50m.Il faut savoir aussi faire abstraction de l'énorme corne de brume qui hurle, nuit et jour, à perte de voix, quand l'horizon est bouché sur la mer d'Iroise. La vie à deux, pendant les deux semaines que dure la relève, est une chose qui s'apprend. «Il faut savoir faire des concessions et tout se passe bien. On cuisine chacun notre tour, par exemple. Pareil pour la vaisselle. Tous les jeudis, aussi, on fait le grand ménage». La vie a bien changé depuis le développement des nouveaux moyens de communication. «Finie la radio maritime qui était le seul lien avec le continent. Il fallait attendre son tour. Avec les portables, on contacte qui on veut, quand on veut», ajoute Guy.


Envahis par les rats


Difficile, en revanche, de se dérouiller les jambes sur l'île Vierge. Ici, le sol est couvert d'une sorte de tourbe spongieuse, truffée de trous. «Très dangereux pour les chevilles, continue Jean-Philippe. Moi, j'ai investi dans un vélo d'appartement». «Même pas foutu d'aller chercher des croissants à Plouguerneau avec son truc», plaisante Guy. Au pied du phare, on trouve une mare d'eau saumâtre fréquentée par des canards. Les seuls animaux sauvages à fréquenter l'île. «Il y a quelques années, on a été envahi par les rats. Ils venaient de l'îlot juste à côté. Il a fallu qu'une société spécialisée intervienne. Les rongeurs avaient commencé à s'attaquer à la porte». À la fin du mois, finies les anecdotes racontées dans la cuisine du phare. Finie la bonne odeur du café chaud. Et de Plouguerneau, on n'apercevra plus la faible lueur de la maison des gardiens. Seul le grand phare continuera à briller. La tête dans le vent.

Didier Déniel - Le Télégramme 04/10/2010


Ile Vierge. Les gardiens ont remis les clés

Le Télégramme 26/10/2010


Vendredi, le phare de l'île Vierge, à un mille de Plouguerneau, dans le Nord-Finistère, ne sera plus habité. Il est le dernier de la liste dans la région. Hier, les deux gardiens de service ont remis symboliquement les clés et le registre du phare. Un moment émouvant.


Par beau temps comme hier, l'accès à l'île Vierge et le paysage que l'on découvre au terme de l'ascension des 365 marches - le plus haut phare d'Europe se mérite - sont somptueux. Mais, en bas, l'heure était quand même solennelle pour Jean-Philippe Rocher et Guy Cajean, les deux gardiens de service (ils sont quatre au total). Le premier a travaillé dans les phares pendant 29 ans, le second, 32. Ils font partie de cette génération de gardiens nés «le cul dans l'eau», pour reprendre l'expression de Claude Louarn, ancien chef du centre de balisage de Brest. Jean-Philippe Rocher avait déjà fermé le phare de Kereon, il y a six ans, celui qu'il appelle «le paradis des enfers». Le phare de l'île Vierge, dans la classification imagée, est, lui, un purgatoire, quand d'autres, à terre, sont des paradis.


Le Conservatoire saisi


Les deux hommes se sont pliés sportivement aux crépitements des flashs. «C'est une fermeture, on aurait préféré être relevé», commentait toutefois Jean-Philippe Rocher. «C'est la fin du vrai métier de gardien de phare», ajoutait son collègue. Les quatre hommes en poste à l'île Vierge sont reclassés dans le département. Le phare lui-même est télé-contrôlé de Brest. Mais que deviendra, demain, l'île Vierge, propriété de l'État? «Nous ne laisserons pas tomber le site», indiquait le préfet du Finistère, Pascal Mailhos. Peut-être reviendra-t-il au conservatoire du littoral qui mène, depuis plus d'un an, à la demande du ministre Borloo, une réflexion sur les aspects patrimoniaux des phares. Un conseil d'administration, qui se réunit demain, est d'ailleurs saisi du cas de l'île Vierge.


Classement prochain ?


Hier, le maire de Plouguerneau, André Lesven, précisait qu'il serait attentif à la suite. Aujourd'hui, 8.000 visiteurs fréquentent l'île l'été, au terme d'une convention entre les Phares et Balises, la commune et l'écomusée. Concrètement, il faudra aussi de l'argent pour que le site soit préservé dans le temps. Le maire évoquait, par exemple, deux cales qui ont besoin d'être entretenues, pour un montant de 200.000 à 300.000 EUR. Par ailleurs, les deux édifices dressés sur l'île Vierge font partie des17 qui passeront, le 22novembre prochain, devant la Commission nationale des monuments historiques pour un éventuel classement. Pour l'heure, c'est le cas pour deux phares seulement en France, ceux de Cordouan et de Gatteville-Barfleur. Hier, à 18h30, le calme a repris ses droits sur l'île Vierge. «Ce soir, il n'y aura plus que nous deux et les goélands», résumait, un brin gouailleur, Jean-Philippe Rocher, un clin d’œil à une solitude pour laquelle les gardiens ont, par nature, du goût.

Vincent Durupt – Le Télégramme 26/10/2010


Bretagne. Une lueur pour douze phares

Le Télégramme 24/11/2010


Douze phares bretons visitables, répartis sur neuf sites, viennent d'être classés monuments historiques. Un grand tournant même si aucun phare de haute mer ne figure dans ce classement.


Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, a fait entrer lundi soir dix-sept phares du littoral français dans le classement national des monuments historiques. Douze sont situés en Bretagne où les phares sont à la fois synonymes de fierté et d'inquiétude, tant l'automatisation rime avec abandon pour les bâtiments les moins accessibles. La décision du ministre n'apporte pas de réponse pour ces monuments de haute mer mais elle marque un tournant majeur pour les 130 phares français puisqu'à ce jour, un seul d'entre eux, celui de Cordouan, était classé monument historique, depuis 1862 !


Seuls les phares visitables


Des phares bretons étaient certes inscrits à l'inventaire mais il ne s'agissait que d'un référencement régional. Avec cette reconnaissance nationale, les phares font une entrée en force dans la liste des monuments historiques classés où jusqu'ici, ils brillaient par leur absence. Elle apporte ainsi une haute valeur ajoutée au littoral breton, riche d'un patrimoine unique par sa densité et sa diversité. Sur les neuf sites retenus, trois sont du reste dotés de deux phares à Fréhel, Plouguerneau et Penmarc'h. Hier, à Paris, Henri Masson, le directeur régional des Affaires culturelles de Bretagne, ne cachait pas une légitime satisfaction d'avoir mené à bien, en concertation avec le ministère de l'Écologie, le long travail préparatoire menant à ce classement, même s'il n'est que partiel. «La commission nationale, dit-il, a retenu des critères de qualité architecturale et de valeur historique mais elle a aussi décidé de ne retenir que les phares accessibles au public». Que vont devenir les mythiques phares de haute mer comme Armen, Kéréon, Le Four, laJument, la Vieille?... «Ils sont au centre de nos préoccupations et de nos discussions, répond Henri Masson. Les phares sont un très gros chantier dans lequel nous devons avancer pas à pas et la décision de la commission témoigne que la Bretagne est bien la région comptant les phares les plus nombreux, les plus intéressants et les mieux conservés».


Pas de transfert de propriété


Ce classement n'ajoute, à ce jour, qu'une valeur relative à ce patrimoine. L'État ne prend aucun engagement autre que ce classement mais on sait par expérience qu'il apporte quelques garanties pour la protection et la mise en valeur des monuments concernés. Et, de toute évidence, un transfert de propriété vers la Région n'est pas à l'ordre du jour. Un temps envisagé par l'État, il n'a pas suscité d'enthousiasme du côté de la région, comme on peut l'imaginer. Surtout en ces temps d'autres transferts coûteux pour les régions et départements.


«Chacun sa compétence»


«Je suis très heureuse de ce classement», disait, hier soir, Maria Vadillo, vice-présidente du conseil régional, chargée du tourisme et du patrimoine, en indiquant tout aussitôt que chacun doit faire le mieux possible dans la compétence qui est la sienne. «L'État, en tant que propriétaire, des structures issues d'associations ou de collectivités locales pour l'animation et la Région pour la valorisation globale de ce magnifique patrimoine, tellement assimilable à la Bretagne que le phare est devenu un fort symbole de l'identité bretonne». «Mais ce pas en avant, ajoute-t-elle, ne doit pas faire oublier les phares en mer. Il faut que l'État ose initier une démarche analogue car ces monuments sont porteurs de la mémoire des hommes. Et il ne faudra pas attendre trop longtemps».

René Perez - Le Télégramme 24/11/2010